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le jardin d’Epicure

Barcelone, Place Cataluña 23 mai 2011

« Le chaînon manquant entre le singe et l’Homme, c’est nous » (Hubert

Reeves)

« La richesse a toujours été un bien public »  ( Arthur Rimbaud)

Quelques définitions

Je commence cet article avec les définitions suivantes,  a voir si ensuite je ne me perd pas en chemin….

Hédonisme comme pensée philosophique

Les plaisirs de l’existence, multiples, varient selon les individus et selon leur éducation. Les penseurs hédonistes ont orienté leur vie en fonction de leurs dispositions propres, mais on retrouve des thèmes communs : l’amitié (thème cher à Épicure), la tendresse, la sexualité libre, les plaisirs de la table, la conversation, une vie constituée dans la recherche constante des plaisirs (cf. Le Gorgias de Platon), un corps en bonne santé. On peut aussi trouver la noblesse d’âme, le savoir et les sciences en général, la lecture, la pratique des arts et des exercices physiques, le bien social…
Dans le même temps, les douleurs et les déplaisirs à éviter sont les relations conflictuelles et la proximité des personnes sans capacités contractuelles (sans paroles), le rabaissement et l’humiliation, la soumission à un ordre imposé, la violence, les privations et les frustrations justifiées par des fables, etc.

L’Épicurisme est une école philosophique fondée à Athènes par Épicure en 306 av. J.-C. Elle entrait en concurrence avec l’autre grande pensée de l’époque, le stoïcisme, fondé en 301 av. J.-C.. L’épicurisme est axé sur la recherche d’un bonheur et d’une sagesse dont le but ultime est l’atteinte de l’ataraxie. C’est une doctrine matérialiste et atomiste.

L’atomisme est une théorie physique proposant une conception d’un univers discontinu, composé de matière et de vide. Selon les atomistes, les atomes composant l’univers sont tous de même substance. Ils sont insécables et ne diffèrent les uns des autres que par leur forme, leur position et leur mouvement. Cette doctrine s’apparente au monisme.

Démocrite d’Abdère (en grec Δημόκριτος / Dêmókritos), né en 460 av. J.-C. à Abdère et mort en 370 av. J.-C., était un philosophe grec souvent classé parmi les Présocratiques du point de vue philosophique, bien qu’il soit un peu plus jeune que Socrate, et qu’il soit mort quelques trente années après lui. Il est considéré comme un philosophe matérialiste en raison de sa conviction en un Univers constitué d’atomes et de vide (théorie atomiste).

Hissons les voiles et tentons de garder le cap, à l’instar d’ Henri Laborit dans son prologue du voilier de  « L’éloge de la fuite » :

« Quand il ne peut plus lutter contre le vent et la mer pour poursuivre sa route, il y a deux allures que peut encore prendre un voilier : la cape (le foc bordé à contre et la barre dessous) le soumet à la dérive du vent et de la mer, et la fuite devant la tempête en épaulant la lame sur l’arrière avec un minimum de toile. La fuite reste souvent, loin des côtes, la seule façon de sauver le bateau et son équipage. Elle permet aussi de découvrir des rivages inconnus qui surgiront à l’horizon des calmes retrouvés. Rivages inconnus qu’ignoreront toujours ceux qui ont la chance apparente de pouvoir suivre la route des cargos et des tankers, la route sans imprévu imposée par les compagnies de transport maritime.

Vous connaissez sans doute un voilier nommé « Désir ».

Nous ne vivons que pour maintenir notre structure biologique, nous sommes programmés depuis l’œuf fécondé pour cette seule fin, et toute structure vivante n’a pas d’autre raison d’être que d’être. »

Le bien vivre comme devoir, le bonheur comme obligation morale

 Quand je m’assois à table  pour manger, quelle question dois-je me poser  : j’ai le droit de bien manger ou  j’ai le devoir de bien manger ?

Évidemment les deux réponses sont correctes. seule notre attitude change.

Je peux revendiquer mon droit au bien manger en participant à des associations de consommateurs, par exemple. Agir face aux autorités responsables de tout ce qui tombe dans notre assiette. Puis attendre une réponse des dites autorités. Ou bien ne rien faire et continuer à parler de notre droit.

En revanche, revendiquer le bien manger comme un devoir m’oblige à rester vigilant et actif de façon permanente. Je cesse d’être passif et ma qualité de vie devient une obligation morale.


Les trois plaisirs

Epicure dans sa doctrine du  » calcul des plaisirs » – source de tant de malentendus- définit trois types de plaisirs : le naturel et nécessaire qu’il faut favoriser, le naturel et non nécessaire qu’il faut admettre, et le non naturel et non nécessaire qu’il faut fuir.

Le « bien » manger, le bien vivre sous-entend la qualité des produits qui elle-même sous-entend un coût.

Les mouvements populaires actuels, de Tunis à Madrid sont des solicitudes pour la qualité de vie : vivre ensemble sans le stress provoqué le management d’entreprise généralisé comme méthode de gouvernement, sans répression policière contre les pauvres, les chômeurs que la rhétorique actuelle transforme en responsables de tous les maux de nos sociétés.

Le bonheur d’être ensemble, de se sentir solidaires –  s’il s’agissait de la priorité de nos gouvernants – participerait à l’équilibre des comptes de la Sécurité Sociale : moins d’arrêts maladies, moins de psychotropes pour pouvoir supporter le monde dans lequel nous vivons.  Baisser les coûts publics que nous utilisons pour corriger les désastres provoqués par l’économie financière au lieu de faire payer ceux qui n’en peuvent mais….

Amin Maalouf  dans « Le dérèglement du monde » ou Henri Laborit dans  » L’éloge de la fuite »  nous proposent l’imagination comme chemin vers la liberté, la nécessité de créer un monde nouveau pour en créer un où nous aimerions vivre.

Puisque le plaisir est cette chose que nous recherchons naturellement, pourquoi accepter un monde si dur, si intraitable ?

Pourquoi ne pas établir l’hédonisme comme projet politique ?

Une société qui cesserait de gaspiller l’argent public pour réparer ce que détruit  le capitalisme financier devant lequel les dirigeants politiques se sont agenouillés.

Les fleurs de la mer

Je remercie la mer, le vent et le soleil pour les moments que je passe. Nos ancêtres les égyptiens avaient raison d’adorer le soleil. Le soleil est le seul élément de notre environnement qui donne sans rien demander en retour; pas d’attention ni manutention.

Le soleil donne.    Le soleil n’est pas ce concept abstrait que certains appellent « Dieu ».

Les humains ont toujours été monothéistes ; ce que nous appelons polythéisme n’est rien d’autre qu’un olympe de  dieux, demi-dieux, héros dirigés par  »  dieu en chef » , autant dans les croyances égyptiennes, romaines ou grecques.

L’olympique vaticanesque n’est rein d’autre qu’une adaptation de cette organisation hiérarchique. Un dieu en chef, sa famille, des saints, des prophètes et apôtres, seuls les noms changent.  Mais à se revendiquer monothéistes, les croyances nées de la bible inventèrent une forme d’intolérance qui fut le germe des dictatures qui virent le jour durant les siècles suivants : monarchies, dictatures militaires, religieuses ou athées, le monothéisme n’a été qu’un coup d’état machiste.

Le concept abstrait – dieu- globalise les éléments  que nous sommes incapables d’identifier du fait de cette paresse mentale à laquelle nous poussent les religions monothéistes.

La lutte actuelle contre la globalisation que nous vivons aujourd’hui est aussi une lutte contre ces vieilles que nous voyons mourir sous nos yeux.  Le retour à l’ordre moral est leur dernier soubresaut, leur chant du cygne.

Et c’est pour ça que je remercie le vent, le soleil et la mer….

Je cultive mes fleurs,  fleurs du mal, fleurs de mer …Dans mon jardin épicurien.

Revolution technologique







Mauvais sang

Au regard de l’actualité, j’avais envie de passer ce texte qui nous dit que  » l’Evangile a passé » et que « la richesse a toujours été un bien public »

J’ai de mes ancêtres gaulois l’œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.
Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d’herbes les plus ineptes de leur temps.
D’eux, j’ai : l’idolâtrie et l’amour du sacrilège ; — oh ! tous les vices, colère, luxure, — magnifique, la luxure ; — surtout mensonge et paresse.
J’ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. — Quel siècle à mains ! — Je n’aurai jamais ma main. Après, la domesticité mène trop loin. L’honnêteté de la mendicité me navre. Les criminels dégoûtent comme des châtrés : moi, je suis intact, et ça m’est égal.
Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement qu’elle ait guidé et sauvegardé jusqu’ici ma paresse ? Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j’ai vécu partout. Pas une famille d’Europe que je ne connaisse. — J’entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l’Homme. — J’ai connu chaque fils de famille !

Si j’avais des antécédents à un point quelconque de l’histoire de France !
Mais non, rien.
Il m’est bien évident que j’ai toujours été de race inférieure. Je ne puis comprendre la révolte. Ma race ne se souleva jamais que pour piller : tels les loups à la bête qu’ils n’ont pas tuée.
Je me rappelle l’histoire de la France fille aînée de l’Église. J’aurais fait, manant, le voyage de terre sainte, j’ai dans la tête des routes dans les plaines souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme ; le culte de Marie, l’attendrissement sur le crucifié s’éveillent en moi parmi les mille féeries profanes. — Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés et les orties, au pied d’un mur rongé par le soleil. — Plus tard, reître, j’aurais bivaqué sous les nuits d’Allemagne.
Ah ! encore : je danse le sabbat dans une rouge clairière, avec des vieilles et des enfants.
Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n’en finirais pas de me revoir dans ce passé. Mais toujours seul ; sans famille ; même, quelle langue parlais-je ? Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ ; ni dans les conseils des Seigneurs, — représentants du Christ.
Qu’étais-je au siècle dernier : je ne me retrouve qu’aujourd’hui. Plus de vagabonds, plus de guerres vagues. La race inférieure a tout couvert — le peuple, comme on dit, la raison ; la nation et la science.
Oh ! la science ! On a tout repris. Pour le corps et pour l’âme, — le viatique, — on a la médecine et la philosophie, — les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangées. Et les divertissements des princes et les jeux qu’ils interdisaient ! Géographie, cosmographie, mécanique, chimie !…
La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?
C’est la vision des nombres. Nous allons à l’Esprit. C’est très certain, c’est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m’expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.

Le sang païen revient ! L’Esprit est proche, pourquoi Christ ne m’aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas ! l’Évangile a passé ! l’Évangile ! l’Évangile.
J’attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité.
Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s’allument dans le soir. Ma journée est faite ; je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l’herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, — comme faisaient ces chers ancêtres autour des feux.
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l’œil furieux : sur mon masque, on me jugera d’une race forte. J’aurai de l’or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.
Maintenant je suis maudit, j’ai horreur de la patrie. Le meilleur, c’est un sommeil bien ivre, sur la grève.

On ne part pas. — Reprenons les chemins d’ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l’âge de raison — qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne.
La dernière innocence et la dernière timidité. C’est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons.
Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère.
À qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels cœurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? — Dans quel sens marcher ?
Plutôt, se garder de la justice. — La vie dure, l’abrutissement simple, — soulever, le poing desséché, le couvercle du cercueil, s’asseoir, s’étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers : la terreur n’est pas française.
— Ah ! je suis tellement délaissé que j’offre à n’importe quelle divine image des élans vers la perfection.
Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse ! ici-bas, pourtant !
De profundis Domine, suis-je bête !

Encore tout enfant, j’admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne ; je visitais les auberges et les garnis qu’il aurait sacrés par son séjour ; je voyais avec son idée le ciel bleu et le travail fleuri de la campagne ; je flairais sa fatalité dans les villes. Il avait plus de force qu’un saint, plus de bon sens qu’un voyageur — et lui, lui seul ! pour témoin de sa gloire et de sa raison.
Sur les routes, par des nuits d’hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : « Faiblesse ou force : te voilà, c’est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre. » Au matin j’avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu.
Dans les villes la boue m’apparaissait soudainement rouge et noire, comme une glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la forêt ! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumées au ciel ; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres.
Mais l’orgie et la camaraderie des femmes m’étaient interdites. Pas même un compagnon. Je me voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton d’exécution, pleurant du malheur qu’ils n’aient pu comprendre, et pardonnant ! — Comme Jeanne d’Arc ! — « Prêtres, professeurs, maîtres, vous vous trompez en me livrant à la justice. Je n’ai jamais été de ce peuple-ci ; je n’ai jamais été chrétien ; je suis de la race qui chantait dans le supplice ; je ne comprends pas les lois ; je n’ai pas le sens moral, je suis une brute : vous vous trompez… »
Oui, j’ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d’une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. — Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu’ils demandent à être bouillis. — Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d’otages ces misérables. J’entre au vrai royaume des enfants de Cham.
Connais-je encore la nature ? me connais-je ? — Plus de mots. J’ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l’heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.
Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !

nos ancêtres les gaulois

Rimbaud et Céline ont eu une façon particulière, voire lucide, de décrire leurs congénères, leurs ancêtres et les miens par la même occasion.

Et puis, Céline fait dialoguer son personnage avec un certain  Arthur, alors, si le pont est jeté, traversons le en lisant les débuts d’une saison en enfer et du voyage au bout de la nuit :

Mauvais sang


J’ai de mes ancêtres gaulois l’œil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure.
Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d’herbes les plus ineptes de leur temps.
D’eux, j’ai : l’idolâtrie et l’amour du sacrilège ; — oh ! tous les vices, colère, luxure, — magnifique, la luxure ; — surtout mensonge et paresse.
J’ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. — Quel siècle à mains ! — Je n’aurai jamais ma main. Après, la domesticité mène trop loin. L’honnêteté de la mendicité me navre. Les criminels dégoûtent comme des châtrés : moi, je suis intact, et ça m’est égal.
Mais ! qui a fait ma langue perfide tellement qu’elle ait guidé et sauvegardé jusqu’ici ma paresse ? Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif que le crapaud, j’ai vécu partout. Pas une famille d’Europe que je ne connaisse. — J’entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l’Homme. — J’ai connu chaque fils de famille !

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Voyage…

Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit.

Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un étudiant,

un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre

donc place Clichy. C’était après le déjeuner. Il veut me parler.

Je l’écoute. « Restons pas dehors ! qu’il me dit. Rentrons

! » Je rentre avec lui. Voilà. « Cette terrasse, qu’il

commence, c’est pour les oeufs à la coque ! Viens par ici ! »

Alors, on remarque encore qu’il n’y avait personne dans les

rues, à cause de la chaleur ; pas de voitures, rien. Quand il

fait très froid, non plus, il n’y a personne dans les rues ; c’est

lui, même que je m’en souviens, qui m’avait dit à ce propos :

« Les gens de Paris ont l’air toujours d’être occupes, mais en

fait, ils se promènent du matin au soir ; la preuve, c’est que,

lorsqu’il ne fait pas bon à se promener, trop froid ou — trop

chaud, on ne les voit plus ; ils sont tous dedans à prendre

des cafés crème et des bocks. C’est ainsi ! Siècle de vitesse !

qu’ils disent. Où ça ? Grands changements ! qu’ils racontent.

Comment ça ? Rien n’est changé en vérité. Ils continuent à

s’admirer et c’est tout. Et ça n’est pas nouveau non plus. Des

mots, et encore pas beaucoup, même parmi les mots, qui

sont changés ! Deux ou trois par-ci, par-là, des petits… »

Bien fiers alors d’avoir fait sonner ces vérités utiles, on est

demeurés là assis, ravis, à regarder les dames du café.

Après, la conversation est revenue sur le Président

Poincaré qui s’en allait inaugurer, justement ce matin-là,

une exposition de petits chiens ; et puis, de fil en aiguille, sur

le Temps [Note 3 ] où c’était écrit. « Tiens, voilà un maître

journal, le Temps ! » qu’il me taquine Arthur Ganate, à ce

propos. « Y en a pas deux comme lui pour défendre la race

française ! — Elle en a bien besoin la race française, vu

qu’elle n’existe pas ! » que j’ai répondu moi pour montrer

que j’étais documenté, et du tac au tac.

« Si donc ! qu’il y en a une ! Et une belle de race ! qu’il

insistait lui, et même que c’est la plus belle race du monde et

bien cocu qui s’en dédit ! » Et puis, le voilà parti à m’engueuler.

J’ai tenu ferme bien entendu.

“C’est pas vrai ! La race, ce que t’appelles comme ça,

c’est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon

genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis

par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus

des quatre coins du monde. Ils ne pou vaient pas aller

plus loin à cause de la mer. C’est ça la France et puis c est ça

les Français.

— Bardamu, qu’il me fait alors gravement et un peu

triste, nos pères nous valaient bien, n’en dis pas de mal !…

— T’as raison, Arthur, pour ça t’as raison ! Haineux et

dociles, violés, volés, étripés et couillons toujours, ils nous

valaient bien ! Tu peux le dire ! Nous ne changeons pas ! Ni

de chaussettes, ni de maîtres, ni d’opinions, ou bien si tard,

que ça n’en vaut plus la peine. On est nés fidèles, on en crève

nous autres ! Soldats gratuits, héros pour tout le monde et

singes parlants, mots qui souffrent, on est nous les mignons

du Roi Misère. C’est lui qui nous possède ! Quand on est pas

sages, il serre… On a ses doigts autour du cou, toujours, ça

gêne pour parler, faut faire bien attention si on tient à pouvoir

manger… Pour des riens, il vous étrangle… C’est pas une

vie…

— Il y a l’amour, Bardamu !

— Arthur, l’amour c’est l’infini mis à la portée des

caniches et j’ai ma dignité moi ! que je lui réponds.

— Parlons-en de toi ! T’es un anarchiste et puis voilà

tout !

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Whatever works

J’ai envie de finir avec le sourire de Boris Yelnikof, alors faisons un petit saut du côté de New-York et rejoignons Woody Allen, qui fait dire à son personnage – qui s’essaie  à la misanthropie ( y parvient-il vraiment , ou ses deux suicides manqués sont-ils une façon d’imager la fuite ?) – au début de l’excellent «  Whatever works » , après avoir parfaitement expliqué le bizness de la «  faute » dans le judéo christianisme, le parfait parallèle entre les discours chrétien et marxiste et l’idée merveilleuse de la démocratie. Boris Yelnikof, à la terrasse d’un café avec trois amis , lors de la première du film :

« Toutes ces idées souffrent d’un grave défaut :

elles sont basées sur l’idée fallacieuse que les gens sont fondamentalement raisonnables, qu’il suffit de leur donner une chance de faire le bien pour qu’il le fasse, qu’ils ne sont pas stupides, égoïstes, avides, lâches, à courte vue. Tout ce que je veux dire, c’est que les gens vivent de la pire des manières possibles, et croyez moi c’est un cauchemar, mais dans l’ensemble, je dois le dire, nous sommes une espèce ratée »

-Boris, raconte-leur ton histoire

-mon histoire est que tout fonctionne, aussi longtemps que vous ne faites de mal à personne. Quelque soit la manière avec laquelle vous pouvez vous procurer un peu de joie dans ce cruel, inhumain, inutile et noir chaos. C’est mon histoire. […]

Pourquoi voulez vous connaître mon histoire ? […] Je ne suis pas un gars sympathique. Le charme n’a jamais été une priorité pour moi. Et juste pour que vous le sachiez, ce n’est pas le film sentimental de l’année. Alors si vous êtes comme ces idiots qui ont besoin de se sentir  bien, allez vous faire un massage des pieds…. »

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Sur ce,  amis terriens, je vais aller caboter

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